lundi 24 décembre 2012

Religions, inégalités et démographie


Qu'elles soient morales, politiques, religieuses ou autres, plus elles sont grandes, plus les causes ont besoin de troupes pour les promouvoir et les défendre ; d'où les encouragements qu'elles leur prodiguent de croître et se multiplier.

La religion constitue sans doute, avec la politique, l'un des chapitres sur lesquels l'homme se montre le plus intransigeant et il suffit pour s'en persuader de considérer les guerres et autres luttes dont est tissée l'histoire, ayant d'autres motifs que la conquête des richesses matérielles du monde. C'est donc en assurant tous les fidèles, sans distinction, du respect de leurs croyances, que le sujet est abordé ici.

Il ne s'agit pas de faire acte supplémentaire d'agnosticisme, et encore moins de prétendre tirer au clair le rapport existant entre l'homme, les religions et les Dieux qu'elles représentent. L'angoisse existentielle d'homo sapiens, par définition vieille comme lui d'un millier de siècles et source de foi, l'a conduit à se forger une spiritualité à laquelle nul n'échappe. C'est probablement ainsi que sont nées les superstitions puis les croyances de l'être humain, et qu'elles sont depuis entretenues par les religions qui en ont fait leurs fondations. Ce besoin de spiritualité, servi par un goût de la révélation et du mystère, davantage que par l'observation et la raison selon l'agnostique, est tel que ce dernier lui-même, rationaliste qu'encourage la science, a bien du mal à y résister ou à l'inverse, à ne pas basculer dans l'athéisme. Il est ici plus limitativement question du rapport entre les religions et la pyramide sociale, et de la mesure dans laquelle celle-ci est reconnue par celles-là, dans sa nature et son caractère aussi irrémédiable que détestable, pour le malheur premier de ceux qui logent à sa base avec si peu de possibilités de s'en extraire.

Le manteau spirituel dont l'humanité se couvre est un invraisemblable patchwork : Monothéismes, polythéismes ; philosophies déistes ou hérétiques, croyances des plus primitives et idéologies modernes, sans compter les dérives et schismes aussi nombreux que variées ni d'innombrables sectes et confréries, en sont les pièces bariolées, auxquelles s'ajoute l'athéisme, religion du non-Dieu, avec lui aussi ses papes, ses prêtres et ses prédicateurs. Toutes ces croyances reconnaissent implicitement la pyramide, au sommet de laquelle règne, selon le cas, ce Dieu en qui elles placent leur espoir en une vie meilleure dans l'au-delà ou plus simplement l'Homme lui-même, la plupart des idéologies n'étant rien d'autre que des "religions laïques"ou temporelles, avec chacune son idéal, par définition promis à n'être jamais atteint – ce que leurs tenants négligent superbement – son dogme, ses principes, ses temples et bien entendu ses prêtres ?

Les religions ont en tout cas le mérite, qui leur est généralement reconnu, d'avoir imposé aux hommes des règles de vie, une discipline morale, les ayant aidés à plus ou moins s'affranchir de la barbarie, bien que l'intégrisme de certains de leurs adeptes en soit encore bien proche. Leur rôle civilisateur ne saurait être contesté, en dépit des erreurs et des insuffisances pouvant leur être reprochées, et c'est à ce titre qu'elles partagent avec la science et le politique des responsabilités purement terrestres.

Hiérarchisée, comme l'est naturellement la société des hommes, il n'est pas d'exemple plus marqué de structure pyramidale que celui de toutes les églises et des structures schismatiques auxquelles elles ont pu donner naissance. Toujours un apex d'où Dieu domine des dirigeants servis par leurs clercs, eux-mêmes chargés de conduire au quotidien le troupeau des croyants majoritairement constitué par sa base. Pyramides d'autant plus plates et aux strates d'autant moins nombreuses que les pouvoirs s'y exercent à l'égard de croyants pauvres et populeux, elles s'inscrivent dans la pyramide globale constituée de l'ensemble des hommes, où se mêlent croyants et incroyants.

À l'égard de la pyramide sociale, les religions se distinguent par leur degré d'acceptation des inégalités qui y règnent inéluctablement entre ceux qui l'habitent. Cette acceptation va du fatalisme de celles pouvant être qualifiées d'hindouistes – ce que soulignait Tocqueville – aux règles à la fois plus subtiles et réactives du judaïsme, puis du christianisme et plus récemment de l'islam. Toutes y voyant l'épreuve mystérieusement imposée à ses créatures par le Dieu qu'elles représentent, sont autant de pyramides édifiées au nom de vérités promettant aux occupant de leurs divers étages la compensation de leurs malheurs terrestres dans un au-delà où les derniers seront les premiers. Objectivement, au risque de heurter, il y là instrumentalisation de la pauvreté par des structures au sommet desquelles règne un pouvoir aussi temporel que spirituel. Les religions se partagent ainsi la pauvreté, dans sa croissance et sa pérennité, assurées envers et contre tout, du seul fait de sa relativité alliée à une démographie en constante augmentation depuis l'origine de l'humanité.

Les résistances qu'il peut arriver aux religions d'avoir à vaincre, et le recul de certaines d'entre elles sont attribués à la montée du matérialisme. Ne serait-ce pas plutôt, ou tout autant, dû à la moindre crédulité qu'il génère ? Le déficit d'instruction, qui est le principal pilier de cette dernière, se comble en effet, de manière aussi spectaculaire qu'irréversible, sous l'effet de nouvelles façons de communiquer et d'apprendre.

Le XXIème s. sera spirituel ou ne sera pas a dit André Malraux. Sous la poussée d'un Islam en croisade et des autres religions tentant de s'unir pour lui résister, la prédiction coulait de source, mais la véritable question est : que pourrait-il en résulter pour la pyramide sociale, dans l'immuabilité de sa structure, garantie par la nature ?

Concernant le recul ou l'avancée comparée des religions, il est intéressant d'observer la mesure dans laquelle les richesses matérielles y jouent un rôle prépondérant, en parfaite contradiction avec le pseudo rejet par les unes et les autres du pouvoir temporel de l'argent. Après que la naissance puis l'expansion du judaïsme aient encore pris appui sur la force à l'état brut, dans l'opposition de tribus et de peuples semblant avoir agi sans prédominance de motifs religieux, jusqu'à la révélation d'un Dieu unique imposant Sa Loi à ses disciples, celles du christianisme ont étroitement été liées à la conquête de libertés qui n'avaient rien que de terrestre, puis de l'or et autres trésors exotiques. Après qu'il ait longuement mûri au rythme de la vie pastorale, l'Islam est quant à lui aujourd'hui servi par
l'or noir dont il
détient les réserves, comme en attestent ses retombées partout dans le monde ; du financement de sa propre propagation à celui de la dette des pays dont il a programmé la conquête. Acteur principal du développement démographique, dans une relation privilégiée entre pays pauvres et polygynie, son objectif déclaré de conquête du monde, par le ventre de ses femmes ne le dissimule même pas.


Détentrice de pouvoirs autant matériel que spirituel, les religions siègent au sommet de la pyramide sociale depuis que les premières croyances sont apparues. D'un point de vue purement socio-démographique, membres de l'élite, elles sont parmi ses premiers représentants à porter la responsabilité des malheurs qui écrasent une base proliférante et l'aggravation permanente de l'abominable sort de ses membres les plus défavorisés, tel qu'il en résulte. Elles accompagnent ainsi et cautionnent moralement l'action des États soucieux de conserver leur population en âge et en nombre propres à garantir leur dynamisme économique, en gardiennes de cette force supérieure à toutes qui est celle du nombre ; d'une démographie laminant tout sous son poids. Ne pouvant rien changer à l'ordre naturel et immuable selon lequel la nature et sa naissance attribuent à chacun sa place dans la pyramide sociale, elles se font les complices des gardiens de l'ordre qui y règne, soumises, réduites à exhorter ceux qui en souffrent à patienter et dans le meilleur des cas à les y aider par la charité et la prière.

Toute religion se fonde ainsi sur l'angoisse existentielle humaine, et entretient une foi qui, par définition, est le contraire de la raison. Comme la richesse, la religion existe par la pauvreté, laquelle exacerbe cette angoisse. Si la richesse est le pendant naturel de la pauvreté ; le contraire sans lequel elle n'existeraient pas davantage l'une que l'autre, la religion en est d'abord le produit en même temps que la justification première. Dans la crédulité qui la différencie d'une élite trop savante pour s'abandonner à une foi aveugle ; dans sa précarité intellectuelle, morale et matérielle, la pauvreté se voit offrir par la religion une compensation différée de ses misères, qui l'aide à les supporter jusqu'à une fin d'ailleurs présentée, par la religion elle-même, comme une délivrance.

Comme la médecine finit par accorder plus d'attention à la maladie qu'au malade, comme la science piétine la morale au nom de sa curiosité, les religions privilégient par vocation l'éternel par rapport au temporel, en cultivant le caractère incontournable de la condition humaine et de ses inégalités naturelles plutôt que de le combattre. Le pouvoir des religions serait pourtant déterminant dans une stratégie de dénatalité qui permettrait le retour à une société équilibrée, offrant aux plus démunis la dignité, à défaut d'une abolition de la relativité de leur position dans la pyramide sociale. Ceci selon une éthique garantissant le respect de la vie, s'agissant de prôner et prêcher la limitation de la conception, donc des naissances et du surnombre qui en résultent.

Addition
Copie d'un échange avec Zenit
organe de presse en ligne émanant du Vatican

- Claudec a écrit le 20/12/2012, commentant un article intitulé "La lutte contre la pauvreté" :
« Les religions jouent un rôle qui se différencie de celui des autres pouvoirs par leur prêche d\'une soumission au grand ordre des choses, en échange d'un meilleur au-delà, alors que d'autres œuvrent en vue de changements ici-bas, par la science ou la révolution. Mais dans tous les cas la pyramide sociale reste immuablement la même, avec son sommet où règnent les puissants et sa base où s'empilent les pauvres. Pour quelques développements voir :http://claudec-abominablepyramidesociale.blogspot.com Ou lire : "La Pyramide sociale - Monstrueux défi" De la richesse à l'exclusion sociale aujourd'hui et à la barbarie demain :
nhttp://www.thebookedition.com/la-pyramide-sociale---monstrueux-defi-claudec-p-84411.html »
- Zenit répond :
Cher lecteur,
Merci d'avoir pris le temps de nous faire part de votre sentiment ; Cependant, l'Eglise catholique a élaboré une "doctrine sociale" abondante qui propose concrètement des changements [en vue] de plus de justice dans ce monde. Elle a été réunie dans ce volume en ligne :
http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/justpeace/documents/rc_pc_justpeace_doc_20060526_compendio-dott-soc_fr.html
Dans l'Ancien Testament, les prophètes déjà exigeaient la conversion pur que le monde devienne meilleur.
Le prophète Isaïe a lui-même fustigé ceux qui prient et rendent un culte à Dieu sans faire justice aux plus défavorisés.
L'Evangile en dit pas autre chose… et les 10 commandements, s'ils étaient appliqués, sont une vraie révolution sociale.
Que le pape Benoît XVI a rappelé dans son encyclique sociale (à la suite des encycliques sociales de ses prédécesseurs, Léon XIII et Jean-Paul II) :
http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20090629_caritas-in-veritate_fr.html
Nous serons jugés, dit S. Matthieu non pas sur nos prières mais sur ce que nous aurons fait pour qui est nu, qui n'a pas à manger, qui est prisonnier ou malade.
Pas d'Evangile sans se retrousser les manches pour changer le monde,
pour transformer les structures de péché qui opprime les peuples en structures de justice, d'amour, de liberté et de paix.
Mais c'est seulement notre point de vue.
Bien cordialement.
Le courrier de la rédaction
- Le 22 déc. 2012, Claudec revient sur le sujet dans les termes suivants :
Bonjour,
Merci de votre réponse et du lien qui me permettra d'approfondir la position de l'Eglise sur un sujet qui, en dépit de son caractère fondamental, me semble occulté.
« Pas d'Evangile sans se retrousser les manches pour changer le monde, pour transformer les structures de péché qui opprime les peuples en structures de justice, d'amour, de liberté et de paix.» C'est bien là qu'est la question ; posée concernant une structure naturellement et immuablement pyramidale de la société, selon laquelle toutes choses intéressant la condition humaine, dont notamment la richesse et la pauvreté – non limitativement matérielles – revêtent un caractère irrémédiable et irrémédiablement relatif.
Cordialement vôtre
Claudec
- Le 23/12/2012, réponse de Zenit :
PS Vous avez raison, la rédaction française de Zenit en français va essayer cette année de trouver des intervenants compétents dans ce domaine.
Bon Noël!
Le Courrier

NB
Il aurait pu être ajouté à la réponse du 22 déc, concernant la citation d’Isaïe fustigeant ceux qui prient et rendent un culte à Dieu sans faire justice aux plus défavorisés, que la question n’est pas là mais dans le fait que précisément, justice est refusée aux plus défavorisés par le simple fait qu’ils naissent dans une structure pyramidale où ils sont irrémédiablement condamnés à l’injustice par inégalité naturelle.

Aucun commentaire: